Des vampires parmi nous ?
Article paru dans le N°6 de la revue associative Freaks Corp. en février 2011.
Aussi loin que remonte l’histoire, les divinités hématophages nous rappellent que la figure du vampire a toujours existé. En Egypte, la déesse guerrière Sekhmet croyait apaiser sa colère en s’abreuvant de sang humain. La mythologie gréco-romaine nous relate les appétits des striges et des lamies qui vidaient les enfants de leur sang. De même, la tradition populaire s’empara du récit biblique et fit de Lilith, la première femme d’Adam, l’ennemi des nouveaux-nés. L’hindouisme dota la déesse Kali de deux crocs saillants pour se nourrir du sang de ses victimes. Le vampirisme originel nous vient donc des femmes… Mais au fil du temps certains personnages historiques ont contribué par leurs mœurs dépravés et leur sauvagerie sadique à entretenir la légende.
Le premier témoignage de l’existence des cadaver sanguisugus* apparaît vers 1193 dans le texte « De Nugis Curialium » du chanoine anglais Walter Map. Un premier moyen de destruction du vampire est mentionné : la décapitation suivi de la crémation de la dépouille. Les épidémies, les guerres et les enterrements prématurés ont développé le mythe du vampire. Pour le clergé cette nouvelle hérésie est une occasion unique d’imposer les objets de culte (crucifix, eau bénite, hostie consacrée) comme seules armes efficaces pour lutter contre ces suppôts de Satan. Les personnes excommuniées sont condamnées à devenir des vampires après leur décès.
Dans un royaume de France à peine remis de la guerre de cent ans, un homme va marquer son temps et le vampirisme par les horreurs qu’il aura fait subir à une quarantaine de jeunes gens. Déjà perturbé par l’éducation d’un grand père tyrannique et les exactions de la guerre, la mort de sa muse spirituelle ; Jeanne d’Arc, déclenche sa folie destructrice. Gilles de Rais, nommé Maréchal de France, reçoit tout les honneurs royaux jusqu’à porter la sainte huile pour le couronnement de Charles VII. Ses richesses s’amenuisant dans la production de spectacles, il se passionne dans la recherche de la pierre philosophale et la magie noire. Poussant toujours plus loin la pratique du satanisme, l’invocation du démon Baron exigeait que le sang coule abondamment. Gilles de Rais multiplie les sacrifices d’enfants. Lors de son procès en 1440 à Nantes, il livrera avec ses serviteurs le détail des tortures et des viols qu’il a infligé à ses victimes avant de les égorger. Excommunié, il sera condamné pour meurtre et sodomie. A la légende du vampire, jusque là simple revenant assoiffé de sang, s’ajoute la perversion et les pratiques sexuelles dépravées.
Dans les pays de l’Europe de l’Est, notamment en Roumanie, une véritable terreur des vampires se développe du XIIIe au XVIIIe siècle. L’apparition dans la noblesse slave d’une maladie rare due à la multiplication des mariages consanguins; la protoporphyrie érythropoietique, ne va pas arranger la psychose collective. Exposée au soleil, la peau des personnes atteintes par cette maladie se crevassait et saignait abondamment, de fait, elles ne pouvaient vivre que la nuit. Dès lors le vampire sera une entité nocturne qui se consume instantanément au contact des rayons du soleil. Dans ce contexte favorable est né en 1431, Vlad III Basarab, prince de Valachie qui deviendra le vampire historique. En guerre contre les envahisseurs turcs, le prince Vlad avait la fâcheuse habitude de soumettre ses victimes au terrible supplice du pal. On raconte qu’il pouvait infliger ses tortures à 30 000 personnes par jour, juste pour le plaisir de les voir agoniser. Sa sauvagerie sadique choqua ses contemporains mais inspira le personnage de Dracula à l’écrivain irlandais Bram Stoker en 1897.
En Hongrie, la comtesse Elizabeth Bathory, nièce du roi de Pologne, profite de l’absence de son mari, parti pour la guerre, pour assouvir ses fantasmes sexuels avec ses servantes et serviteurs. A la mort de ce dernier, elle décide de se consacrer entièrement à ses plaisirs luxurieux et expédie ses enfants. Sa quête de la beauté éternelle commença un jour où dit on après avoir frappé une domestique qui lui avait tiré maladroitement les cheveux en la peignant, le sang aurait jailli sur sa main. Elle se prit à croire qu’à cet endroit sa peau était devenue plus douce et plus jeune. La pauvre servante fut vidée de son sang et la comtesse put prendre un bain de sang. Ce premier bain marque le début d’une orgie qui allait durer près de 10 ans. La comtesse assouvissait ses appétits hématophiles en entaillant ses amantes avant de les achever. Arrêtée par un de ses cousins, le comte Gyorgy Thurzo, Elizabeth Bathory sera jugée en 1611 pour avoir saigné des centaines de jeunes filles. Elle sera emmurée dans sa chambre où on ne laissa qu’une fente pour lui passer des vivres. Elle y survécut 4 ans. Dès lors le vampire est auréolé d’une perverse passion érotique pour ses malheureuses victimes.
En 1725, un vampire hongrois Pierre Plogojowitz enterré depuis 6 semaines fut accusé d’avoir tué 9 personnes à Kisilova et Arnold Paole, son homologue serbe, déclencha la panique aux environs du village de Meduegya. Dans les deux cas, les villageois exigèrent des autorités locales l’exhumation des personnes récemment décédées. On constata que certains cadavres ne se décomposaient pas mais contenaient encore du sang frais. Sans perdre de temps, les dépouilles suspectes furent décapitées et brûlées. Dans l’imaginaire collectif, le vampire, autrefois charogne puante, devient un être d’une étrange beauté.
La littérature romantique du XIXe siècle contribue aussi à auréoler le personnage du vampire de sensualité et de raffinement; « Le Vampire » de John-William Plidori (1819), « Bérénice » d’Edgar Allan Poe (1835), « La Morte amoureuse » de Théophile Gautier (1836), « Les métamorphoses du vampire » Charles Baudelaire (1857), « Carmilla » de Joseph Sheridan le Fanu (1871).
En Europe, dans les années 20, les vampires sont médiatisés par la multiplication de crimes sexuels à caractères hématophiles. Ainsi en 1924, Fritz Haarman dit le vampire d’Hanovre avouera les meurtres de 24 adolescentes qu’il tua par morsure à la gorge. En 1929 à Düsseldorf, Peter Kurten aimait à se faire passer pour un gentleman et proposait à ses victimes de les raccompagner avant de les poignarder pour entendre le sang jaillir. Son histoire inspirera pas moins de 5 adaptations cinématographiques dont « M le Maudit » de Fritz Lang dès 1931.
Mais qu’est-ce qui nous fascine tant dans le mythe du prédateur assoiffé de sang ? Est-ce le reflet du désir de l’humanité d’immortalité qui sommeille en chacun de nous ou l’exploration des pulsions obscures de l’âme humaine ? Comme un écho lointain à notre instinct primitif, en créant le mythe, l’humanité a pu abandonner ces tabous et satisfaire sans culpabilité tous ces appétits.
Sarah Hubert-Marquez