Le Château de Maulnes (Yonne)

Le Château de Maulnes (Yonne)

Article paru dans le N°3 de la revue associative Freaks Corp. en avril 2010.

Le XVIe siècle marque un grand intérêt dans les cours royales européennes pour l’ésotérisme, l’Hermétisme*, la science des initiés, l’astrologie et l’alchimie. C’est la grande époque des connaissances héritées du génial Léonard de Vinci (1452-1519), de l’occultiste Cornélius Agrippa (1486-1535), du médecin alchimiste Paracelse (1493-1541), de l’apothicaire Nostradamus (1503-1566), ou du kabbaliste chrétien Guillaume Postel (1510-1581). Même le roi de France François 1er (1494-1547) s’amusait a cacher des énigmes dans la décoration de ses châteaux. A Fontainebleau pour sa magnifique galerie ornée de ses emblèmes le « F » et la salamandre, il commande le tableau de « L’éléphant royal » où le pachyderme le représente avec les 3 éléments (L’air, le feu, et l’eau). A Chambord, on parle toujours aujourd’hui de l’énigme des « F » inversés et l’omniprésence du chiffre 8 sensé symboliser le caducée du dieu Hermès. A cet image d’autres châteaux restent énigmatiques comme le château de Dampierre-sur-Boutonne (Charente-Maritime) dont les plafonds arborent d’étranges caissons alchimiques. Rodolphe II du Saint Empire (1552-1612) surnommé l’empereur alchimique collectionnait des artefacts étranges dans un cabinet secret situé sous son château…

C’est dans ce contexte de grande ferveur pour l’ésotérisme qu’Antoine de Crussol et son épouse Louise de Clermont Tallard débute les travaux de construction d’un château digne de leur nouveau rang. C’est en effet en mai 1565 qu’Antoine de Crussol reçut le titre de Duc d’Uzès par la reine Catherine de Médicis. Le château de Maulnes est construit entre 1566 et 1573, à Cruzy le Chastel (Yonne), selon un plan pentagonal centré autour d’un escalier-puit. Dès 1576, le Château de Maulnes est répertorié dans l’anthologie « Les plus excellents bastiments de France » d’Androuet du Cerceau pour son architecture unique.

« Tout est nombre »

Le choix d’un château de forme pentagonale était audacieux en France mais répandu en Italie*. La forme géométrique cache, en effet, les canons d’esthétique et d’harmonie de l’époque, autrement dit les fameux triangles divin et d’Or (ou d’Euclide). Mais au delà de l’idéal esthétique, le château de Maulnes cacherait-il un message ? Ces divines proportions on été mis en exergue par Pythagore (-582 / -500 ) pour qui les nombres révèlent l’essence divine. Ainsi Dieu se cacherait dans les nombres. On retrouve cette thèse en Alchimie où le chiffre 5 marque l’unité de l’Oeuvre : la quintessence. Le 5e élément qui unifie et complète les 4 autres (Eau, Terre, Feu, Air), autrement dit l’élément originel. On sait aussi que le pentagone régulier symbolise l’homme profane à l’inverse du pentagramme (ou pentacle) représentant l’homme initié. Faut-il persister pour autant vers l’hypothèse d’une demeure alchimique comme au château de Chastenay* ? Rien n’est moins sur ! Car le 5 c’est aussi le chiffre nuptial des pythagoriciens, le nombre de l’harmonie et de l’équilibre. Ainsi, l’architecture, certes originale du château ne fait que répondre aux principes esthétiques de la Renaissance. L’escalier central en colimaçon répond également à la règle pythagoricienne de la section d’Or… Une architecture donc au service de la divine beauté ! L’escalier en spirale est aussi le symbole de l’ascension vers le Savoir, le lien entre le monde terrestre et spirituel. Sa forme met naturellement l’attention vers le foyer.

Le « conflit des eaux sombres et dormantes
avec les eaux claires et jaillissantes »

L’escalier-puits du château de Maulnes est en effet une merveille architecturale inspirée par l’escalier à double révolution au centre du château de Chambord attribué à Léonard de Vinci. Rien d’étonnant quand on sait que la châtelaine Louise de Clermont Tallard a passé toute son enfance à la cour du roi François 1er. Mais pourquoi avoir choisi comme centre du château un puits alimenté par 3 sources ? Un symbole fort du passage entre le profane et le sacré renforcé par la présence au sud d’une Nymphée*. La célébration de l’eau comme principe vital au château de Maulnes nous rappelle les cultes païens des sources et des fontaines que le clergé a christianisés en les baptisant de noms de Saints ou de Saintes. Sans oublier l’attribution de vertus curatives à ces eaux. Ainsi une source St Martin guérit les maux d’estomac, St Luc la peur, St Paul les maux de dents etc. Alors une source venue de Maulnes me diriez-vous ? Rien de bon assurément ! Etymologiquement ce nom vient de l’adjectif « Mau » qui signifie  mauvais. La source possède donc le double symbolisme d’être associée à la purification et à la fécondité d’un côté, et de l’autre d’être une porte des démons infernaux. D’ailleurs la légende du château résonne toujours depuis le fond du puits.

« Maulnes, maudit Maulnes, tant que Maulnes sera Maulnes,
La m
ère Lusine souffrira ! »

La fée Mélusine ou Mére Lusine est un personnage emblématique lié à la source. Il existe deux versions de la légende de Mélusine à Maulnes, la première s’inspire largement de la tradition poitevine des Lusignan, c’est pourquoi nous nous attacherons uniquement à la seconde version du mythe. On dit qu’autrefois la fée malfaisante habitait le château et maltraitait ses vassaux sauf une jeune fille dont elle s’était prise d’affection : Suzanne. Excédés par le mépris et le courroux de la fée, les habitants du pays se révoltèrent contre la châtelaine. Aussitôt, Mélusine se vengea en assiégeant le village d’Arthonnay. Elle mit le feu aux récoltes et fit assassiner les habitants du pays. De retour de sa sanglante campagne, tous ses courtisans la congratulèrent sauf Suzanne qui se mit à pleurer quand on lui conta les atrocités commises par Mélusine. La fée maléfique s’emporta et précipita Suzanne dans le puit du château. Inconsolable d’avoir tué sa favorite, Mélusine se jeta à son tour dans le puits. Depuis, elle erre dans la demeure en sanglotant : « Maulnes ! Maulnes ! tant que Maulnes sera, mal­heureuse serai ! » et apporte malheurs aux habitants des alentours.

Le château de Maulnes garde ses mystères et est actuellement en pleine restauration. Vous pouvez le visiter en période estivale pour seulement 2 € par personne ! Il est vivement conseillé de vous renseigner d’abord sur les heures de visites souvent fluctuantes avec les divers chantiers. Mais n’oubliez pas qu’à Maulnes, Mélusine vous guette pour vous précipitez au fond du puits…

Sarah Hubert-Marquez

Notes :

* Doctrine ésotérique fondée sur des écrits de l’époque gréco-romaine attribués au Dieu égyptien Thot nommé Hermés Trismégiste par les grecs. La fameuse « Table d’émeraude » étudiée par les alchimistes du Moyen-Age est de la Renaissance est un texte qui aurait été retrouvé dans le tombeau d’Hermès Trimégiste au II et IIIe siècle en Egypte hellénistique.

* C’est pourquoi, en 1976 une thèse suggère que le plan du château de Maulnes aurait été réalisé par Sebastiano Serlio, architecte du château d’Ancy-le-Franc, commandé par Antoine III de Clermont, frère de Louise de Clermont Tallard. Cette hypothèse est sujette a controverse puisque Serlio est mort à Fontainebleau en 1554.

* Voir le dossier du « Coin de l’étrange » du N° 1 de Freaks Corp.

* Dans l’Antiquité, grotte naturelle ou artificielle que l’on construisait avec un petit temple consacré aux nymphes d’une fontaine.

* Légendes recueillies par Charles Moiset en 1888 dans « Usages, croyances, traditions, superstition de l’Yonne » (Réimpression chez Laffitte Reprints en 1982)

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