Les vestiges archéologiques de la vallée de Brezons
Loin d’être exhaustif, cet article a pour objectif de restituer la densité historique de la vallée de Brezons. Je vous propose de remonter le temps ensemble pour découvrir les vestiges laissés par nos ancêtres…
Paléolithique (- 35 000 à – 12 000) : La vallée de Brezons,
une halte des chasseurs-cueilleurs ?
Tertre de Grandval (Prospection Y.MIRAS)
De nombreux indices de sites préhistoriques ont été trouvés sur le territoire. En avril 2007, c’est un éclat de silex noir de provenance sub-locale (vallée du Goul ou secteur de Thiézac) qui a été découvert près d’un tertre de la vacherie de Grandval. D’autres traces de ces nomades du paléolithique supérieur, existent sous le Rocher de la Boyle. Par petits groupes très mobiles, avec un équipement réduits, les chasseurs-cueilleurs suivaient le gibier et passaient d’une vallée à l’autre pour trouver des ressources nécessaires à leur survie. Les animaux étaient chassés à l’arc avec des flèches armées de pointes en silex acérées, et peut-être empoisonnées avec le suc de plantes sauvages toxiques (Aconit napel). Ils affectionnaient les cavités naturelles qui étaient souvent de simples abris sous roche creusés au flanc des escarpements rocheux pour y établir leur campement.
Protohistoire ou les âges des métaux (-2500 à -700)
Lors de prospections archéologiques menées par Yannick MIRAS de 2006, ce sont les éclats d’un récipient en céramique qui ont été retrouvés sur un tertre près de la Croix d’Imbiquerou.
Antiquité (-753 à 476) : La voie romaine de la vallée ?
De nombreuses présomptions existent sur le passage d’une voie romaine traversant la vallée. Mais il est difficile aujourd’hui pour les archéologues et historiens d’en établir son tracé, même approximatif. En effet, trop d’incertitudes et d’hypothèses anachroniques résident sur son emplacement dues en partie l’analyse « à rebours » des itinéraires médiévaux que l’on connait.
Deribier du Châtelet parle dans son « Dictionnaire statistique du Cantal » de traces d’une voie romaine à Montréal (1093 m) qui se dirigerait vers les plateaux du nord et le Puy Gros où elle se raccorderait à l’itinéraire de crête Arpajon-Murat par la Tombe du Père. Il reste difficile aujourd’hui d’apprécier l’ancienneté exacte de ce chemin. En revanche, la prétendue voie romaine allant jusqu’à la vacherie de Grandval ne semble être qu’un chemin d’estive.
Pour d’autres la route antique correspond au chemin nord-sud qui va de Brezons à Prat-de-Bouc. Mentionné comme de « magna via » au XIIIe siècle. Cet itinéraire ne serait qu’un axe majeur de l’époque médiévale.
Enfin, le chemin orienté exactement nord-sud qui sert de limite communale entre Cézens et Brezons partant de Paulhenc et allant en droite ligne jusqu’au Puy Masso (1376 m) serait plus ancien. Le pont de l’Estradié sur le Brezons pourrait attester de son ancienneté.
La seule voie romaine du canton clairement identifiée est le chemin reliant Dienne à La Roche-Canilhac pour franchir ensuite la Truyère par le pont de Tréboul. Elle était une voie d’échange et de commerce entre la Planèze et le Rouergue.
Haut Moyen age (476 à 987) : Les francs à la conquête des Monts du Cantal.
Thierry 1er (v.485-490 à 534), fils ainé de Clovis roi des Francs, serait venu avec ses troupes fouler la vallée de Brezons pendant la lutte qui l’opposa les Wisigoths vers l’automne 507. On connait son fameux discours pour encourager ses soldats à la conquête de l’Auvergne : « Suivez-moi et je vous conduirai dans un pays où vous trouverez de l’argent autant que vous pouvez en souhaiter, où vous prendrez en abondance des troupeaux, des esclaves et des vêtements ».
Ainsi, ont été retrouvées des armes franques : une francisque, une demi-pîque ou angon au « Roc-Grand » (Rocher de la Boyle) et une petite tête de lance en fer court de section rectangulaire à large douille vers le col de la Tombe du Père. Les deux lances médiévales ont été découvertes par Delort. Les deux objets ont été redécouverts dans les réserves du musée archéologique d’Aurillac. Ces découvertes confirment l’ancienneté de la route passant par le cirque de Grandval.
Bas Moyen age (987 à 1453) : Troglodytes, et châtelains !
On retrouve sur la commune de Brezons deux sites troglodytes ; le premier sous le Rocher de la Boyle, et le second compose les caves de Farreyre.
Il est envisageable de penser d’après les données recueillies que des habitants aient trouvé refuge dans ses cavités naturelles. Sous le Rocher de la Boyle, ont été retrouvés par Jean-Philippe Usse, historien et archéologue de la SARA, des ruines d’un ancien bâtiment sous la voûte basaltique du rocher (NDRL : les vestiges du château de la Roche-Servière) et des plantes anthropiques présupposant l’existence d’un jardin. Enfin dans les caves de Farreyre outre des traces d’anciens foyers, Selon JF Pautard*; on voyait encore à la fin du XIXe siècle « des sièges et des tables en pierre, sur les parois des murs des trous ou armoires pour réclamer des objets et ustensiles de ménage. »
Habitat troglodyte et vue d’ensemble du site en 1994 (Rocher de la Boyle)
De nombreux châteaux et manoirs aujourd’hui disparus jalonnaient la vallée de Brezons. Car le territoire constituait une frontière stratégique entre le diocèse de Clermont et celui de le Rouergue. Ces places fortes avaient un rôle de défense contre les invasions et assuraient la protection de la population. Ainsi, on dénombrait 4 châteaux sur la commune de St Martin sous Vigouroux : celui de Faydols, de Lescure, de Vigouroux et de La Volpilhère : 6 sur la commune de Brezons : celui de Brezons, de la Roche-Servière, de Montréal, de Méjaneserre, de la Boyle et de Belbezet. Les montagnes étaient défendues à Cézens, par l’ancien château de Neybrousse (détruit pendant la révolution française). Le château de Perpezat à Cézens fut construit plus tardivement (fin du XVIe siècle).
Château de Faydols (XIIe siècle), un « Castel de Faydol » est connu entre 1112 et 1130 par un hommage du vicomte de Murat Pierre II à Raymond Béranger, vicomte de Carlat et comte de Barcelone.
Château de Vigouroux (XIIe au XVIIIe siècle) La famille des seigneurs éponymes de Vigouroux apparaît dans les textes avant 1031-1065 dans le cartulaire de Conques où Stephanus de Vigorone et sa femme donnent leur villam que vocatur Rocheta à Pierrefort. Dans la même charte on apprend que le fils de Stéphane, Bonefacius, sera confié aux moines de Conques. Or, ce Boniface de Vigouroux deviendra ultérieurement abbé de Conques. Un Miron (de Vigouroux) figure dès le milieu du XIe siècle aux côtés des Carlat dans une donation. Quant au Willelmus ex castro quod Carlatum dicitur, genere clarus et militia strenuus cité par le Livre des Miracles de sainte Foy (IV, 15), il a toutes les chances d’être le premier Guillaume de Vigouroux dont les deux descendants homonymes transigeaient avec Carlat au sujet de Caylus. Six « Guillaume » sont connus dans cette famille entre le XIe et le XVe s.
L’actuel château de Vigouroux est un manoir post-médiéval construit sur une éminence. D’après Deribier, il aurait été bâti à côté du château médiéval dont les ruines ont été démolies peu après 1780. On voyait alors un tronçon de tour assez élevée, flanqué d’un fort. Des fouilles furent faites au XIXe s. sur l’emplacement du château médiéval. On y trouva beaucoup de grains brûlés un certain nombre d’ossements humains cinq squelettes dans un four des fragments de piques, d’armures brisées, de serrures et autres ferrements aussi calcinés. Sur le cadastre XIXe siécle, les parcelles du château matérialisent l’emplacement de l’ancienne forteresse. Or ce château possédait une chapelle castrale, mentionnée en 1273 : « In castro Vigoro, in ecclesia Sancti Laurencii
Château de Lescure (XIe au XVIIIe siècle) B. Phalip en a fait une étude détaillée : « du château il subsiste la tour de plan carré. A l’est de cette tour s’élevait un logis haut de trois niveaux. Le gros oeuvre de la tour date du XIIIe s. et s’est fait en deux étapes. Cette tour, bâtie en moyen appareil régulier disposait d’un escalier à vis. Toujours selon B. Phalip, Lescure est caractéristique des nouvelles implantations castrales sensibles en Haute Auvergne dès le milieu du XIIIe s, privilégiant les fonds de vallée au détriment des sites de hauteur. La seigneurie de Lescure est mentionnée pour la première fois en 1297 où elle appartient à la famille Gasq ; elle aurait dépendu primitivement de Brezons, puis de Murat au XIIIe s.
Château de La Volpilhère (construit au XIVe siècle et détruit en 1793) Selon le Dictionnaire Statistique du Cantal la famille seigneuriale de la Volpilière est connue depuis 1086 ; un Pierre de Gasq était seigneur en 1281 et un Pons de Gasq fit hommage au vicomte de Carlat en 1345 pour un château nouvellement bâti Il est difficile de savoir s’il existait une fortification avant le « château nouvellement bâti » du XIVe s. Le site est implanté à flanc de coteau, à l’extrémité d’un petit vallon. Il a été étudié par B. Phalip; les vestiges les plus anciens sont ceux d’une tour du XVe siècle. Enfin, un certain Hugonis Gast fait hommage à Carlat en 1277 de plusieurs biens sur le territoire de Saint-Martin, doute s’agit-il du seigneur de la Volpilière. Les toponymes « Lort del Castel »et « Sur le Castel figurent encore sur le cadastre du XIXe siècle. La famille Gasc, sans doute originaire du Sud-Ouest, était partiellement vassale de Clermont depuis 1265 et sans doute depuis les années 1200.
Château de Brezons (à ne pas confondre au château du même nom de St Flour) signalé dés 972 dans la charte de Landeyrat; Castro quod dicitur Bresontium Il s’agissait du château primitif de la famille seigneuriale de Brezons. C’est sans doute Astorg ou Eustorge « Le Taureau Rouge » qui bâtit le château de Brezons. Son successeur sera Amblard de Brezons (v. 960 – v. 1025-30) neveu d’Amblard de Nonette, dit « Le Mal Hiverné ». Il prend une part active aux guerres de la Planèze, vers 1010. Le castrum de Brezons est mentionné lors de l’hommage par Astorg de Peyre à Raymond Bérenger d’Aragon en 1150. Le site du castrum du Xe s. est conservé. Le village est dominé, au sud-est, par une butte naturelle ovale couronnée par une « roque », rocher ovoïde dont les flancs ont sans doute été aménagés. Les pentes de la butte ont livré de la céramique grise attribuable au Moyen Age central. Au nord de la roque se développe une ancienne terrasse ;au sud on peut observer des reliefs difficilement identifiables. Le château semble avoir été déserté au XIIIe siècle, bien que la famille seigneuriale existait toujours.
Château de Montréal : ( XIIIe au ?) A Montréal autrefois « Mont Royal » et relevant du monastère de St-Flour fut érigé en 1268 par le prieur de Saint-Flour, un château pour protéger l’église de Brezons et assurer la sécurité dans la région. Mis à contribution, le seigneur de Brezons entre en conflit avec le prieur. Alfred Loussert, nous informe dans son ouvrage « Les seigneurs de Brezons » que le château n’était toujours pas fini en 1295. Le site est qualifié de « fortalicium » en 1503. la tour est en ruines au XIXe. On aperçoit encore, mais presque entièrement effacés, les vestiges d’une tour (en ruines au XIXe siècle) sur le site de la Croix de Montréal qui culmine à 1119 m. C’est un éperon rocheux dominant la vallée. Sa partie terminale (point culminant) est occupée par des ruines informes au sein d’un taillis ovale. La présence de mortier de chaux et d’un linteau monumental, associée à la tradition orale, nous amènent à penser qu’il s’agit bien là des restes de la tour du XIIIe siècle. Des défenses (talus ?) ont pu être aménagées à flanc de coteau, entre la tour et le chemin de crête venant de Vigouroux et se dirigeant vers les vacheries du nord. La microtoponymie, elle aussi atteste la présence de cette tour : Latour
Château de Méjaneserre Mentionné en 1329 d’abord sous le nom de « Mansus de Mangaser » (un manse correspond à une exploitation agricole). Au XIVe s., il est aussi fait mention d’un « castrum de Meganasera » et du « Prioratus de Meganasera », ordinis B.M. de Corona. Le prieuré était uni au monastère de Saint-Flour en 1292. Le château appartenait en 1366, à Marfred de Murat, seigneur de Montlausy près de Maurs et vassal du vicomte de Carlat selon Deribier.Le château a pu être implanté à l’extrémité sud de la crête dominant le village. Il fut détruit avec le prieuré par les anglais pendant la guerre de 100 ans.
Château de la Roche-Servière : Pierre et Armand de Brezons rendent hommage à l’évêque de Clermont en 1287 pour le « castrum et castellania de Ruppe Serveyra ». Les hommages sont renouvelés jusqu’au début du XVIe siècle. Ce château était bâti au pied de l’éperon basaltique qui surplombe le château de Laboual, dans un abri sous roche difficile d’accès. D’après la tradition locale il aurait été détruit durant la guerre de Cent Ans (voir l’article consacré à sa destruction par Mérigot Marchès). Quelques ruines de ce repaire semi-troglodytique, assez semblable à celui de Pons dans le Carladez méridional, sont encore visibles.
Château de La Boyle : Un certain « Hugues lo Bueil », chasé par les seigneurs de Brezons, est cité en 1268. Un château existe au XIVe s. ; l’édifice actuel, au pied de la montagne de Roche-Servière, n’est pas antérieur au XVe siècle. A noter l’existence d’un toponyme « chastelloune » s’y rapportant probablement.
Château de Belbezet : Il s’y trouvait un ancien château qui appartenait en 154O à François de Montjou, héritier d’Antoine, seigneur de St-Clément et de Laroque, qui le tenait en fief des seigneurs de Brezons.
Les archéologues ont retrouvé également des vestiges des trous, appelés tras, mazucs ou cabanas, vestiges des constructions éphémères réalisées par les bergers au Moyen-âge (XIIIe siècle).
Traces de Cabanas sur la Montagne de la Mouche à Brezons (Prospection Y.MIRAS)
Renaissance (1453-1598): La revanche des Huguenots
Deribier nous raconte que « Charles de Brezons (1545-1609) se distingua dans les guerres civiles autant par ses cruautés que par ses talents militaires. Les rigueurs qu’il exerça contre les Huguenots, à Aurillac où il commandait, furent cause en partie des dévastations que ceux-ci exercèrent contre cette ville lorsqu’il s s’en emparèrent. » En effet, Charles de Brezons, seigneur de Brezons, chevalier de l’Ordre du Roi, capitaine gouverneur du château de Murat puis nommé lieutenant général de la Haute-Auvergne par les Guises, en fervent défenseur de la Ligue se livra aux pires exactions contre les Huguenots de la région. Ainsi, à Aurillac, Charles de Brezons (alors âgé de 16 ans) et le seigneur de Caillac, “avec grande compagnie de gens en armes (600 hommes) pour faire cesser les séditions et tumultes sur ce fait de la religion…, lesquels firent prisonniers les dits séditieux…”. Les deux farouches catholiques, au lieu de s’employer à rétablir le calme, sèmeront la terreur à deux reprises à Aurillac (septembre 1561 puis le 3 juin 1562).
Henri Durif décrit ainsi l’arrivée du seigneur de Brezons, avec son capitaine Monthély à Aurillac : « le jour de leur entrée dans la ville, en traversant le rue des Fargues, une pierre, tombée de la fenêtre d’une maison huguenote, vint atteindre Brezons au poignet, et lui fit une contusion légère. (…) Le gouverneur s’écria qu’on attentait à sa vie. Alors Monthéli groupa ses soldats, leur indiqua la maison suspecte (…) L’habitation fut envahie, et huit personnes qui s’y trouvaient, parmi lesquelles on comptait des femmes et des enfants, furent égorgées sans merci. » Plus loin Durif nous rapporte, les propos de l’historiographe de Serres » L’on ne saurait bonnement exprimer l’indignité des pilleries et meurtres que tous deux commirent avec leurs satellites. Ils massacrèrent cruellement en nombreux cantons, pillèrent châteaux et maisons particulières, volèrent infinité de marchands, violèrent plusieurs femmes et filles, bref conclurent d’anéantir ceux qui avaient fait profession de la religion réformée (…) ». Le roi Charles IX destituera Charles de Brezons de son poste de gouverneur de la Haute Auvergne à cause de ses excès.
Mais, à d’horribles cruautés succédèrent d’atroces représailles, les Huguenots, sous le commandement de François de Beaumont, assiègent à plusieurs reprise la demeure des Brezons. Le château de la Boyle tomba aux mains des protestants et le pays alors livré aux exactions des occupants, trop heureux de se venger sur les gens du seigneur détesté. Des fouilles dans les années 50 autour du château de la Boyle ont fait découvrir une trentaine de boulets dont certains de 18 kg et beaucoup de balles.
Autres vestiges plus contemporains
Grâce à un brezondin, nous avons appris l’existence d’un piège à loups encore visible (photo ci-contre). Ces fosses maçonnées étaient recouvertes de branchages pour piéger les loups. Ceux-ci disparurent de nos montagnes au début du XXe siècles. Pour l’anecdote, les habitants de Malbo ont été surnommés les « Cassalouts » (caça lops en occitan) car ils étaient réputés pour être de redoutables chasseurs de loups.
Piège à loups des Plaines Basses à Brezons (Jacky Bordichon)
Sarah Hubert-Marquez
