La tombe du père

La tombe du père

En ce début d’hiver 1450, le baron de Raulhac, triste, solitaire dans son donjon, se sentait devenir vieux ; il venait t’enterrer sa femme, seul Ulric son fils, page chez son cousin Bernard d’Armagnac, Vicomte de Murat, nourrissait l’espoir de son cœur.

Pour combler le vide dans son château, il avait envoyé deux de ses hommes à travers la montagne chercher son fils unique. Le ciel était couvert de nuages grisâtres, l’air humide, déjà dans le vent les flocons tombaient lentement .

Le baron frissonnait, le temps était long, la nuit se faisait proche. Il jetait de temps en temps un regard vers le montagne dans l’espoir de voir apparaitre son fils sur le manteau blanc. Mais le doute l’envahissait; comment allait-il lui annoncer la mort de sa mère ?

Pourtant, revoir son fils Ulric ramènerait un peu de joie, le souvenir de l’épouse et de la mère céderait la place à la chasse et à l’apprentissage des armes. La complicité du père et du fils l’emporterait, Ulric deviendrait un preux chevalier comme tous ses aïeux.

La nuit tombait. Le baron contempla le ciel d’où la neige descendait encore plus épaisse, et, ne comptant plus sur l’arrivée des voyageurs, il regagna la grande salle du manoir. Il regagna son siège près de l’âtre où d’énormes troncs se consumaient dans le foyer. Les flammes éclairaient les portraits de famille accrochés au mur. Mais le baron fut surpris de voir ces figues le regarder d’un air compatissant et triste. Il s’endormit et vit en rêve les exploits de ces ancêtres qui faisaient l’honneur de son nom.

Soudain, la trompe retentit au pied des remparts, le pont-levis s’abaissa pour ne laisser entrer qu’un homme glacé, à demi mort.

 » – Et Ulric ? demanda-t-il

– Pauvre Ulric ! Il dort sous la neige qui l’ont enseveli au milieu des montagnes.

Surpris dans la tempête de neige, le dévouement de ses serviteurs fut inutile. L’un d’eux avait payé de sa vie sa loyauté pour son jeune maître. Voilà ce qu’apprit le malheureux père, voilà comment s’évanouirent toutes ses pensées de bonheur, tout ses rêves d’avenir. »

A l’aube, le pauvre messager encore transi de fatigue était en selle avec son maître galopant péniblement vers les montagnes. Le baron voulait retrouvé le corps de son fils. ils fouillèrent tous les recoins de la montagne en vain. Le tombeau de neige gardait sa victime.

Quand le printemps eut fondu les neiges, le baron retrouva la dépouille dUlric dans les bras du fidèle serviteur. Le baron fit reposer son fils aux côtés de sa mère.

Le baron quitta ses terres et trouva refuge au monastère de Saint-Gal aux portes de Murat que venait de fonder le vicomte d’Armagnac. Deux ans passèrent, sous sa bure de moine, la douleur restait intact. Comment oublier la mort prématurée de son fils tant aimé ? Ce souvenir le poursuivait dans ses prières et les moines qui le croisaient voyaient se larmes briller sous son capuchon noir. Bientôt le baron perdit la raison malgré les attentions journalières des moines. Il fut enfermé dans une cellule où la folie le poussait à attenter à sa vie pour retrouver Ulric. Le soir de Noël 1452 arriva ; tous les moines se rendirent à l’église pour célébrer la naissance de l’Enfant-Dieu.

Alors le baron, fou de douleur, s’enfuit et remonta la vallée d’Albepierre alors que la neige tombait en gros flocons. Il prit le chemin sous le manoir de Combrelles en appelant Ulric et s’enfonça dans la gorge étroite qui mène au Plomb du Cantal. La bise qui le suffoquait collait la neige froide sur sa face baignée de sueur. Ses pieds nus étaient ensanglantés. Arrivé au sommet, il appela Ulric encore et encore jusqu’à se qu’une rafale de vent le renversa au sol. Mais la neige bientôt l’ensevelit.

a la fonte des neiges, son corps réapparut. Les religieux ensevelirent leur frère sur la montagne et pour perpétuer sa mémoire, ils dressèrent sur sa tombe un monument.

Depuis lors, les voyageurs viennent y faire halte ou attendre le lever du soleil pour découvrir ici un des plus beaux panoramas de la région. La rivière du Brezons prend sa source près du col de la Tombe du Père.

 

Source : Ludovic SOUBRIER,  » Légendes d’Auvergne »,  Réédition de l’ouvrage de 1891, Les Editions du Bastion, 1998.
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