Les révoltes des Brezondins
Les emphytéotes* de Brezons et de Cézens contre les seigneurs de Brezons… Cinq siècles de luttes ! A l’origine un conflit né au début du XIVe siècle sur le droit d’usage des bois de la vallée de Brezons qui ne se résoudra véritablement que pendant le second empire lors d’un long procès…
Un compromis à l’amiable en 1344
Mais revenons quelques siècles en arrière, en 1344 exactement date de la première transaction entre Guillaume de Brezons et les emphytéotes. Le conflit opposait d’une part, le seigneur Guillaume qui soutenait que les propriétaires tenanciers de la châtellenie de Brezons devaient lui verser une taille, autrement dit un impôt pour l’exploitation des terres seigneuriales. Et d’autre part, les emphytéotes au contraire juraient que le prélèvement de la taille ou la saisine des terres n’étaient pas fondés et que de tout temps, ils avaient eu le droit de couper du bois dans la forêt de Grandval et les autres forêts du seigneur de Brezons sans compensation. Après des années de conflits entre les seigneur de Brezons et les exploitants, une transaction à l’amiable a en lieu en 1344 à Aurillac.
Ainsi les petits propriétaires s’engagèrent à payer à perpétuité une taille au seigneur de Brezons et à ses héritiers seulement pour les raisons suivantes :
– Si celui-ci devait partir outre-mer en Terre Sainte,
– Ou s’il devait répondre à l’appel de l’armée du roi de France,
– Pour payer une rançon en cas de capture du seigneur de Brezons,
– Pour payer une dot en cas de mariage de la fille ou des filles du seigneur,
– Pour payer l’entrée en religion des enfants du seigneur et faire un don au monastère accueillant ceux-ci.
– En cas de rachat de la terre pour une valeur d’au moins 100 livres. (NDLR : Au cours moyen de l’or en 2009, on peut établir la valeur d’une livre tournois à 179.05 €)
Une clause particulière stipule que si deux ou trois cas prévus arrivaient la même année, les propriétaires emphytéotes ne seraient tenus que de payer qu’une seule taille par année jusqu’à ce que les tailles fussent acquittées.
En revanche, les propriétaires indépendants entre la rivière de l’Epie et de Brezons devaient s’acquitter d’une taille de 40 livres de Tours annuellement en plus des corvées et bouades. Une clause prévoyait aussi qu’ils paieraient le double soit 80 livres de Tours et la taille annuelle si un des cas prévus ci-dessus arrivait.
En échange, les propriétaires emphytéotes pourraient avoir un droit d’usage sur les pâtures et les forêts du seigneur de Brezons pour faire paitre leurs bestiaux, prendre et emporter librement leur bois de chauffage sauf pour le hêtre, les frênes, les érables et les cancliers qui demeurent à l’usage seul du seigneur.
Le seigneur de Brezons et ses héritiers s’engageaient à mettre à disposition des propriétaires emphytéotes le bois nécessaire à la construction ou à la rénovation de leurs maisons. Rappelons ici que les incendies étaient courants au Moyen-âge avec les nombreuses guerres, les incursions de troupes anglo-saxonnes et des brigands.
En revanche, les propriétaires indépendants devaient s’acquitter en plus de 600 livres de Tours annuellement aux échéances suivantes, 200 livres à la fête de la Nativité, 100 livres au carême et 300 livres à la Toussaint pour prélever leur bois de chauffage dans les forêts seigneuriales.
Le seigneur de Brezons et ses héritiers s’engageaient à ne prélever d’autres tailles, redevances, et impositions hormis celles mentionnées dans la transaction et celles imputables à l’entretien des officiers et justiciers comme de coutume en cas de force majeure.
Guillaume et son fils Pierre de Brezons alors âgé de 14 ans s’engagèrent devant le notaire royal à respecter cette transaction.
Les emphytéotes signataires de ce compromis en 1344 :
Guillaume Ajalbert et son petit fils Guillaume, Hilaire et Guillaume Ajalbert, Ajalbert du Cros, Pierre Ajalbert, Pierre Beroy, Etienne Baduel, Guillaume Baduel, Pierre Baduel de Lestival, Gérald Baduel de La Grifoul, Mathieu de Baldusse, Cébélie de Baldusse, Pierre Badolh, Jean Badolh de La Ruscheyre, Jean Béchut de Sarreyre, Pierre Bérule, Jean Bérule de Sernayrée, Bernard et Pierre Bochart de Farreyre, Lucie Boryerre de Brezons, Jean Chanpit Datièle, Pierre Chanpit, Pierre de Interrinis, Etienne Jerme Datièle, Guillaume Chassanhe, Pierre Chassauh, Pierre et Durand Chassauh de Montréal, Etienne Chastainh, Gerald Chastainh, Guillaume Chastanhe, Jean Cuelhe, Guillaume Cuelhe, Jean Cuelhe, Pierre de Cumbadeyre (Aujourd’hui orthographié « Combadières », com. de Brezons), Datièle, Pierre de Neyravèse de Sermeyre, Durand du Sal de la Rode (Aujourd’hui orthographié « La Rodde », com. de Cézens), Pierre du Sal, Durand Planche, Raymond, Fuelbal, Jean Fuelhual de Serneyra, Pierre La Planche de la Guarde, Durand de Laudone, Guillaume de Laudone, Jean Lors, Pierre Mamlbert, Pierre Malbert de Pla de la Roche (Aujourd’hui orthographié « Plain de la Roche », com. de Brezons), Etienne Marti, Pierre, Jean et Guillaume Marti de Farreyre, Berode de Neyravèse de Promeyre, Gerald de Neyravèse, Etienne Petito, Pierre Pierre, Pierre Polier de Puehcogul (Aujourd’hui orthographié « Pescojol », com. de Cézens), Jean Planche Ratérée de Peyre, Durand Rochent de Vidèche, Guillaume Ros, Jean Ros, Gérald Rosseux, Jean Rosseux, Martin Rosseux de Ruselpeyre, Jean Salat, Guillaume Salat de Belvéser (Aujourd’hui orthographié Belbezet, com. de Brezons), Agnès de Cros Sobeyre, Esclarde Sermeyre, Jean de Serveyre de la Pradarie (Aujourd’hui orthographié « La Praderie », com. de Brezons) , Pierre Taxeyre de la Rode, Pierre Tolza, Pierre Vidal, Guillaume Vidal, Guillaume Vidal de la Rode, Guidon Vidalenc, Guillaume Vidalenc de Sanissage, Hilaire Vidalenc, Pierre Vidalenc, Gérald de Vitérine Delbes, Jean Vegier de Sernayrée, Laic du mas de Sermeyre, Durand et Jean de Lucenhac (Aujourd’hui orthographié « Lussenac », com. de Cézens), Etienne et Guillaume la Planche, Raymond de Joncqueyre, Durand de la Cuelhe (Aujourd’hui orthographié « La Queille », com. de Brezons), Pierre Lasbesse, Guillaume la Planche, Jean la Planche, Pierre la Planche de la Guarde, Bernard et Guillaume d’Alhadeyre.
De nouvelles négociations…
A plusieurs reprises en 1350 puis en 1499, cette transaction sera remise en cause puis modifiée au sujet du droit d’usage du bois dans la forêt de Brezons. Ainsi en 1499, suite à une épidémie de peste dévastatrice, seul un dixième de la population brezondine avait survécu au fléau, les emphytéotes menacent le seigneur de quitter la vallée pour des terres plus hospitalières. En effet, très rapidement, l’état des terres devint catastrophiques, les habitations tombèrent en ruines, les champs étaient en friche envahis de ronces, même les chemins étaient abandonnés sérieusement détériorés.
Ainsi, Bonnet de Brezons face à la détermination de ses gens, préféra réduire l’imposition au profit de nouveaux prélèvements en nature (rentes de blé, cires, poules…). Ainsi, sur une culture de blé, un quart des récoltes en blé et en paille sera du au seigneur.
En échange, les brezondins pouvaient continuer à ramasser, couper, prendre et emporter leur bois de chauffage et le bois nécessaire à leur travail dans les limites territoriales des forêts seigneuriales prévues dans le compromis hormis les essences suivantes; le chêne, le hêtre, le frêne, l’érable, le pin et le châtaignier réservés à l’usage seul du seigneur. Ils pourront toutefois emporter ces essences d’arbres s’ils sont tombés et ramasser le bois mort. Une exception seulement dans la forêt de Grandval où les signataires de cet accord pouvaient prélever toutes les essences de bois.
Les emphytéotes signataires du compromis le 22 juillet 1499:
Jean Ajalbert du mas du Cros; Guillaume, Pierre et Jean Ajalbert du mas de la Croix Poteyre; Hilaire Ajalbert du mas du Pont-de-la-Roche (Aujourd’hui orthographié « Plain de la Roche », com. de Brezons); Etienne Baduel (clerc de Lestival), Jean Baduel du mas de Ruscheyre, Pierre Baduel du mas de Lestival; Pierre Baduel du mas de Serveyrète (Aujourd’hui orthographié « Serverette », com. de Brezons); Pierre Baduel du mas de la Griffol (Aujourd’hui orthographié « La Grifoul », com. de Brezons); Jean Béruhe du mas de Serveyrète; Durand, Pierre et Reymonde Boy du mas de Chavaleymals; Etienne Chastaing du mas las Berches, Durand Chastaing, Jeanne Chastaing du mas de Las Berches; Jean Chastaing habitant du mas de la Griffol; Esperte Chastinghe du mas de Livernenc-Sobeyre; Jean Esdouleux du mas de Lustrande, Jean Eyméric de la Brobèche, Guilaume Eyméric du mas de Madeysargues; Jean Franchier du mas de Ferreyres; Sclamende femme de Mathieu Frocqueyres du mas de Boldusses, Pierre Johane tenancier en pagésie au lieu du Maynial, Étienne et Guillaume Laplanche du mas de Lustrande, Pierre Lelong habitant de la Praderie, Jeanne Lors du mas de Doulbaldenche; Guillaume de Losat, Pierre et Jean Neyravèse du mas de Serveyrète; Durand et Jean Planche du mas de la Rode (Aujourd’hui orthographié « La Rodde », com. de Cézens); Durand Roche du mas du Bourguet; Jean Rossenc du mas de Ruscheyre, Jean Sal du mas de Chisenac, Guillaume Salat du mas de Belveser; Jean et Marthe Salat du mas Larsalier (Aujourd’hui orthographié « Arjaillez », com. de Brezons); Jean Sueze du Crox-bas (Aujourd’hui orthographié « Cros Bas », com. de Brezons); Agnés et Guillaume Vidalenc du mas de Vidalenche; Pierre Vidalenc, du mas de Sanissage et Jean Verhe du mas de Ruscheyre.
Une nouvelle tentative d’abus vite repoussée
Au début du XVIIe siècle, François de Brezons, le dernier représentant de la famille féodale de Brezons, avait tenté d’étendre ses terres artificiellement en déplaçant les bornes des montagnes des Claux, de Grandval et des Fraux… Vigilants, les habitants de Brezons firent appel à des experts qui rétablissent les limites foncières par procès verbal le 25 octobre 1607 et le 7 septembre 1608. Décédé en 1622, les terres de François de Brezons revinrent par succession à la famille Miramont.
Une longue procédure et un procès gagné
Mais c’est au XIXe siècle que l’affaire atteint son paroxysme, les habitants de Brezons font appel plusieurs fois à la justice. Entre juin et septembre 1808, c’est leur maire Mr Coulze qu’ils font suspendre « en raison de concussions et abus de pouvoir qu’il est présumé d’avoir commis dans l’exercice de ses fonctions. »
Puis les habitants de Cézens se joignent à la contestation des Brezondins contre l’héritier des terres seigneuriales, Mr de Villers, avocat à Paris. Dès 1829, il y a eu une première tentative d’incendie de la maison du garde particulier du marquis Plessis-Chatillon à Brezons. Dépossédés d’immémoriaux droits d’usage portant sur près de 300 hectares, « ils avaient brisé tous les instruments de labour du fermier et, ayant dressé une potence, avaient menacé de le pendre ainsi que Mr de Villers et son garde. » En 1840, la seconde fois fut la bonne, si l’on peut dire, avec l’incendie volontaire de la maison.
Un procès fut intenté par les habitants des deux communes contre le droit d’usage des bois de Mr de Villers. L’enquête de 1855 sur les usages locaux suscitait de grands espoirs pour les petits propriétaires qui étaient convaincus de la bienveillance de l’Empereur Louis Napoléon ; « Jamais, s’écriaient-ils, l’Empereur ne permettrait qu’ils redevinssent corvéables et taillades à merci ». Après un long procès, le verdict fut favorable aux habitants de Brezons et de Cézens… Mr Ernest de Villers et Mme Charlotte Cassagne Beaufort de Miramont, veuve de Mr Duplessis Chatillon furent condamnés pour faux en écriture privées et authentiques. A Brezons, pour marquer la fin de longs siècles de conflits entre les habitants et les châtelains qui se sont succédés, on organisa un grand banquet où l’avocat Baduel fit un grand discours ponctué des « Vive le sauveur de la Patrie ! » des habitants.
Et c’est ainsi que les habitants de Brezons et de Cézens solidaires face au seigneur ont pu faire falloir leurs droits à force de négociations et de procès.
Sarah Hubert-Marquez
* Emphytéotes : concessionnaires d’une terre pour plusieurs générations ou à perpétuité, moyennant un léger loyer ou « canon » ou sans loyer du tout.