Le Grand Veneur

Le Grand Veneur

«Prés du village de Malbo, sur les plateaux boisés qui s’élèvent graduellement jusqu’aux crêtes cantaliennes, s’étend une lande déserte, perdue parmi les forêts sombres. Loin des habitations et des hommes, à l’heure de minuit, c’est là que passe le Grand Veneur avec son escorte silencieuse. Quel est ce chasseur étrange, qui choisit le moment des ténèbres pour lancer ses meutes au fond des bois ?

Allez un soir d’hiver, prendre place au foyer du village, et vous saurez, en sortant, la mystérieuse légende du Grand Veneur. »[1]

Les douze nuits séparant Noël et l’Epiphanie sont particulièrement propices à l’apparition des chasses volantes. Les mentions aux chasses infernales se retrouvent principalement dans les pays du centre et du nord de l’Europe (France, Allemagne, Suisse, Angleterre et Scandinavie). Les plus célèbres sont la « Menée Hellequin », la « Chasse à Bodet », la « chasse galopine » constituée d’enfants décédés sans baptême et la « chasse d’Arthur ».

Dans la tradition, les chasses volantes sont souvent menées par un géant borgne, par le diable lui-même ou par le spectre d’un homme maudit qui préféra courir le gibier un dimanche de Pâques plutôt que d’assister à la messe… Ce qui fut le cas du roi Arthur qui préféra poursuivre un sanglier. [2] Le Grand Veneur de la vallée est un chasseur maudit lui aussi.

Dans la vallée de Brezons, la légende du Grand Veneur avec sa meute et sa suite infernale est bien connue. Sa chasse volante apparait à minuit au croisement de quatre chemins desservant Brezons, Malbo, Vigouroux et le Cantal. Une croix comme il est d’usage dans nos montagnes marque cette intersection maudite. Daniel Brugès a rapporté l’itinéraire du chasseur maudit dans son ouvrage « Les Mystères du Cantal » (p.57), Elle débute à Narnhac puis passe successivement par Saint-Martin-sous-Vigouroux, Malbo et Saint-Jacques-des-Blats, avant de disparaître au Chaos de Casteltinet, près de Thiézac. La tradition conserve le souvenir tenace d’évènements terribles et annonciateurs de malheur (guerre, famine, épidémie…) liés à l’apparition de la chasse maudite.

Mais si la légende et les nombreux témoignages sont connus, on lui prête plusieurs origines. Certains spécialistes affirment qu’il s’agit du spectre de Pierre de Brezons. Il fit, en effet, assassiner Amblard, son frère puiné, par les habitants de Lidar en 1400. Une croix s’élève encore aujourd’hui sur le lieu du crime pour commémorer cette tragédie. Outre l’horreur du fratricide, Pierre de Brezons était connu pour être un blasphémateur indécrottable qui rechignait à assister aux messes.

Ludovic Soubrier dans son ouvrage les « légendes d’Auvergne » rapporte qu’il s’agit du spectre d’un seigneur qui aurait vécu dans un manoir à Malbo. Le baron se moquait de Dieu et disait d’effrayants blasphèmes. Passionné de chasse, celui-ci partait tous les jours à l’aube chasser dans la forêt avec sa suite et ses lévriers. Nul ne devait entraver son plaisir, et nombres de paysans périssaient foulés par les pieds des chevaux ou frappés par l’épieu du baron après son passage. De retour de chasse, tous les soirs, le seigneur offrait de somptueuses festivités. Devenu vieillard, il vendit son âme au diable pour prolonger sa vie de plaisirs de trente années… Le diable aurait récupéré son du et depuis le baron continue sa chasse infernale.

Malheur au randonneur égaré la nuit à cette intersection ! Il assistera à un terrible spectacle ; « La meute composée d’un nombre infini de chiens, passe devant lui haletante, la gueule ouverte, comme donnant de la voix, poursuivant à vue une biche égarée ; mais, pas un cri ne sort de ces gueules enflammées. Des piqueurs au costume écarlate, les yeux en feu, embouchent leur trompe insonore ; et, comme complément de cette ronde vient le Grand Veneur lui-même, vêtu aussi d’écarlate, un fouet à la main, et poussant devant lui tout son équipage de chasse. Le jeu de ses membres fait entendre un cliquetis sec et lugubre ; son pied, en frappant la terre, rend un bruit étrange, ses vêtements ne paraissent couvrir que des ossements desséchés ; on dirait que sa tête décharnée est creuse, et la lueur de ses yeux semble l’effet de charbons ardents »[3]

Le Grand Veneur a le pouvoir d’hypnotiser ceux qui le fixent. Et c’est ce qui est arrivé le 1er septembre 1561 au cruel Charles de Brezons qui fût témoin de cette apparition démoniaque. Comme son aïeul Pierre de Brezons, Charles était reconnu comme fin stratège militaire mais aussi pour sa cruauté sans borne contre les Huguenots. La guerre civile grondait alors partout dans le royaume français. Et grâce à la bienveillance des Guises, Charles de Brezons fut nommé gouverneur du Haut-Pays en 1560. C’est en cheminant pour Aurillac afin de prendre sa charge, avec sa troupe et son fidèle capitaine Monthéli à ses côtés, que le seigneur de Brezons a eu une vision apocalyptique et perdit connaissance. Quand ses serviteurs l’ont retrouvé, le seigneur était hagard et tenait des propos incohérents. Il se reposa une nuit à Thiézac avant de reprendre sa route.

Si par hasard, vous souhaitez passer par ce carrefour maudit, recommandez votre âme à la vierge du rocher de Saint-Martin… Si vous croisez le Grand Veneur, évitez son regard, signez-vous et tracez avec un bâton un cercle de protection autour de vous. Une prière à Saint-Hubert est aussi vivement recommandée. Sinon vous disparaitrez sans laisser de trace !

Sarah Hubert-Marquez

 

[1] « Légendes d’Auvergne » de Ludovic Soubrier réédition aux Éditions du Bastion de l’ouvrage de 1891, p.55 à 62, 1998.

[2] « La petite encyclopédie du Merveilleux » d’Édouard Brasey,  Éditions Le Pré aux Clercs, p 394, 2007.

[3] Présentation de la commune de Brezons selon le « Dictionnaire statistique du Cantal » de Jean Baptiste Deribier du Châtelet, Tome 1, 1852.

 « Histoire secrète de l’Auvergne » de Jean Peyrard, Editions Albin Michel, p.118-119, 1980.

 

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